Mon Requiem a été composé pour rien… pour le plaisir

Portrait de Gabriel Fauré
John Singer Sargent, Gabriel Fauré (vers 1889), Paris, Cité de la musique.

Composé sans intention particulière, selon les mots mêmes de Fauré : « Mon Requiem a été composé pour rien… pour le plaisir, si j’ose dire ! Il a été exécuté pour la première fois à la Madeleine, à l’occasion des obsèques d’un paroissien quelconque 1». Il ajoute : « peut-être ai-je aussi, d’instinct, cherché à sortir du convenu, voilà si longtemps que j’accompagne à l’orgue des services d’enterrement ! J’en ai par-dessus la tête. J’ai voulu faire autre chose 2 ».

Fauré déclara plus tard à propos de ce Requiem : « Mon Requiem, on a dit qu’il n’exprimait pas l’effroi de la mort, quelqu’un l’a appelé une berceuse de la mort. Mais c’est ainsi que je sens la mort : comme une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur d’au-delà, plutôt que comme un passage douloureux3 ».

L’atmosphère générale du Requiem donne une impression de douceur, d’émerveillement, d’espérance et d’humilité, tempérée par certains passages forte où l’on ressent la frayeur, la douleur, le doute, mais où l'on reçoit également la lumière.

 

Copie du manuscrit du Requiem de Fauré
Une copie du manuscrit ; mesures 4-7 de l'Introït et du Kyrie.

Différentes versions

 Gabriel Fauré avait tout d'abord souvent remplacé Camille Saint-Saëns en l'église parisienne de la Madeleine, avant d'en devenir l'organiste titulaire dès 1874,puis le maître de chapelle en 18778. On ne peut exclure que des considérations personnelles aient aussi influencé la composition de l’œuvre qui débute après la mort de son père en 1885 et s’achève peu après celle de sa mère, la veille du nouvel an 1888, soit un peu plus de deux semaines avant la première audition de l'ouvrage, le 16 janvier 1888.

L'église de la Madeleine vers 1900
L'église de la Madeleine vers 1900

 D′octobre 1887 à janvier 1888, Fauré compose une première version de l'œuvre qu'il présente à son ami Paul Poujaud comme un « petit Requiem4 ». Cette première mouture est composée de l'Introït, du Kyrie, du Pie Jesu, de l'Agnus Dei et de l’In paradisum. Cette version originelle fut donnée pour la première fois le 16 janvier 1888, à l'église de la Madeleine. C'était pour la cérémonie de bout-de-l'an5 d'un architecte célèbre de l'époque, Joseph-Michel Le Soufaché. Le soprano solo était un enfant du chœur, le futur compositeur et pianiste Louis Aubert, né en 1877.

La petite histoire rapporte ce dialogue avec le curé à la fin de l'office : « Qu'est-ce donc que cette messe des morts que vous venez de faire chanter ? — Mais, monsieur le curé, c'est un Requiem de ma composition ! — Monsieur Fauré, nous n'avons pas besoin de toutes ces nouveautés ; le répertoire de la Madeleine est bien assez riche, contentez-vous-en ! »6.

Un manque d'audace assez courant (là aussi bien qu'ailleurs). Mais il indiquait aussi que, dans ce cas au moins, l'Église ne souhaitait plus autant qu'à certaines époques être un moteur de la création musicale. Habituelles divergences entre une autorité (ici ecclésiastique) et un musicien, pas toujours docile, que l'institution s'était pourtant choisi...

Grand-orgue CAVAILLÉ-COLL de l'église de la Madeleine, à Paris VIII°
Grand-orgue CAVAILLÉ-COLL de l'église de la Madeleine, à Paris VIII°

En 1898-1899, suite aux exigences de l'éditeur Hamelle, la partition fut refondue pour un effectif orchestral plus important, destiné aux sociétés de concerts.

On ne saurait affirmer que Fauré est lui-même l'auteur de cette réorchestration. Il pourrait s'agir plutôt d'un de ses élèves, Roger Ducasse, élève préféré de Fauré qui avait orchestré de nombreuses autres œuvres de son maître.

Cette seconde version de l'œuvre, publiée chez Hamelle à l'automne 1901, fut créée le 12 juillet 1900 dans le Palais du Trocadéro sous la direction de Paul Taffanel au cours du quatrième « Concert officiel » de l'Exposition universelle de 1900.

Ce fut la seule version connue jusqu'à la découverte du matériel d'orchestre manuscrit de la version originelle de l'œuvre, en 1968, par le maître de chapelle Joachim Havard de la Montagne dans les caves de la paroisse de la Madeleine.

 

 Le Requiem fut joué en 1924 pour les funérailles de Fauré. L'oeuvre n'atteint les États-Unis qu'en 1931 seulement, et encore juste lors d'un concert d'étudiants à l'Institut Curtis en Pennsylvanie. Il ne fut pas joué en Grande-Bretagne avant 1936.

 La prononciation originale du texte latin est gallicane (c'est-à-dire dans la tradition française), comme on peut l'entendre dans le premier enregistrement de 1930- version 1900- chez Gramophone 7. De nos jours, la prononciation utilisée est romaine (dite aussi à l'italienne). En effet, l'Église catholique avait, dès le début du XXe siècle, voulu unifier les différentes prononciations du latin au profit de cette unique prononciation.

Extraits de l'article consacré à la Messe de Requiem en ré mineur, op.48 sur Wikipedia :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Requiem_(Faur%C3%A9)

 

Plaque commemorative Requiem
Plaque commémorative au no 154 boulevard Malesherbes à Paris.

 

 

1 Gabriel Fauré, Correspondance, Paris, Flammarion, coll. « Harmoniques – Écrits de musiciens », 1980 p. 138, lettre no 67

2 Entretien avec Louis Aguettant, le 12 juillet 1902, publié dans Comœdia en mars 1954, p. 6.

3 Entretien avec Louis Aguettant, le 12 juillet 1902, publié dans Comœdia en mars 1954, p. 6
Lettre datant du 15 janvier 1888, veille de la première exécution. Fauré 1980, p. 138, lettre no 66.
5 Premier anniversaire de la mort.
6 Témoignage de l'organiste et compositeur Armand Vivet, mort en 1937 selon data.bnf.fr]. Ou en 1956 selon l'article Eugène Gigout, sur le site musimemRequiem (opus 48) de Fauré
7 Fanny Malnory-Marseillac (soprano), Louis Morturier (baritone), le Chœur de la Société Bach avec Orchestre et Orgue, direction Gustave Bret, Alexandre Cellier (orgue). Enregistrement Gramophone (1930).
8 " Il a été le plus poète de nos musiciens, dit M. Jacob, peut-être aussi le plus grand rêveur d'entre eux. Son âme n'était pas de ce monde... Il fut à l'orgue de la Madeleine un improvisateur exquis et enchanteur... L'art de Fauré captive par une griserie délicate, dont l'imprégnation ne s'efface pas. De là l'influence vaste et profonde de cet artiste, si discrètement singulier, sur toute la musique française de son temps " extrait de cet article http://www.musimem.com/madeleine-orgue.htm